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samedi, 13 décembre 2008

Chronique des gens ordinaires qui vont regarder le foot au comptoir

Il y a un plaisir indiscutable à regarder les matchs de foot à la télé dans les cafés. Indiscutable. La première raison à cela, c’est que le foot est un sport qui se joue en équipe. On ne peut donc concevoir qu’il se regarde autrement qu’en équipe. Cela, les habitués de comptoirs l’ont bien compris, tout comme d’ailleurs les patrons qui souvent imposent une deuxième mi-temps à leurs consommateurs et pratiquent volontiers une prolongation de leurs tarifs les soirs de diffusion.

On peut toujours croire que les gens qui se rendent dans les cafés pour regarder les matches sont des pauvres qui ne peuvent pas se payer un abonnement aux chaînes cryptées. Calculette à la main, l’argument tient mal. C’est au fond comme si on disait que les gens qui vont boire du café dans les cafés  (ou du vin, ou du gin-tonic, ou n’importe quoi d’autre) n’avaient pas de quoi se payer tout ça chez eux. Une statistique infaillible a prouvé que le prix de la boisson est toujours moins élevé chez soi que chez le bistrotier du coin, et ce qui est vrai du picrate l’est tout autant de la chaîne cryptée.

On peut en dernier lieu soutenir, comme certaines mères de famille le font, que le foot n’est qu’un prétexte pour se pochtronner entre mecs chaque week-end. C’est aussi discutable. De la passion du foot ou de la passion de l’alcool, laquelle vint la première chez le bipède urbanisé ? Cela doit dépendre des cas, me direz-vous. Pour la plupart de ces messieurs qu’on voit, l’œil fixé à l’écran, empreint de gravité, il est possible que les deux soient intimement mêlées : mais de fait, ils boivent le même coup, qu’il y ait un match ou que l’écran soit éteint, parce que c’est encore Bernard Henri Lévy qui pérore dans un talk show.

La seule vraie raison des ces rassemblements rituels dans les bistrots touche à la grégarité de l’espèce : Cicéron n’affirme-t-il pas que, la res publica est la chose du peuple, étant précisé que par peuple il faut entendre, un groupe nombreux d’humains associés les uns aux autres par leur adhésion à une même loi et par une certaine communauté d’intérêts. Rien de plus républicain, donc - c'est un penseur antique qui l'affirme -, que de regarder le match chaque week-end au café du coin. Qu’on se le dise !  Depuis quelques années, d’ailleurs, n’y rencontre-t-on pas quelques dames, et même quelques enfants que leurs géniteurs initient tant bien que mal au civisme de l'agora ? Car la dégustation d’une victoire comme la consolation d’une défaite ne se savourent, au contraire de tout le reste, qu’entre voisins d’un même quartier.

Si vous ne m’en croyez pas, et à titre d’exercice pratique, je vous propose de profiter de cette 18è journée de Ligue 1 pour aller étudier de plus près la question. En voici le programme : Aujourd’hui, 19 heures : Le Mans – Bordeaux ; Auxerre- PSG ; Toulouse-Saint-Etienne ; Valenciennes-Monaco ; Sochaux-Caen ; Nancy-Grenoble ; Rennes-Nantes ; demain, 17 heures : Nice – Lille ; Le Havre-Lorient, et demain 21 heures : OL-OM.  Il y a bien, non loin de chez vous, un petit boui-boui aux vitrines embuées, et d’où s’échappent de loin en loin d’incompréhensibles clameurs qui, pour ne pas monter jusqu’au ciel, grimpent au moins jusqu’à votre fenêtre. Poussez donc la porte de cet antre dont vous ne comprenez pas la langue. Faute de saisir du premier coup  toute la subtilité de la technique ou de la non-technique de chacun des joueurs multi millionnaires évoluant sur le gazon, vous goûterez la saveur de la réflexion de Schopenhauer. C’est bien lui, n’est-ce pas, qui affirmait que les porcs-épics sont de vrais sages ? En effet, pour ne pas souffrir du froid, ils se serrent les uns contre les autres, mais à bonne distance, afin de ne pas s’enfoncer de piquants dans la chair. Le foot au comptoir, c’est au fond la situation intermédiaire acceptable, entre la solitude glacée du salon et la proximité mordante du stade.  Vive, donc, la sagesse immuable de ces téléspectateurs de comptoirs, lecteurs infatigables de journaux provinciaux. Car c'est pour eux, au fond, qu’Alexandre est grand.

 

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jeudi, 11 décembre 2008

Chronique de la grammaire, de la vieille dame indigne et du général de Gaulle

« Il faut toujours garder un vice pour ses vieux jours. » : L’idée de garder un vice pour ses vieux jours, tout d’abord : je la trouve excellemment formulée. L’idée qu’un vice puisse se garder au  frais, comme une bouteille pour la Noël, ou des boites de sucre sous le lit, ou le livret A sous une pile de drap. Un vice. Pour ses vieux jours : Je pense à La vieille dame indigne, le film de Robert Allio, avec Sylvie. A la chanson de Jean Ferrat (Faut-il pleurer, faut-il en rire … ?) Eh oui, il y en a eu, des jeunes, des moins jeunes, il y en aura une poignée, de jours, qu’on appellera les vieux. Les vieux jours. Cela me rappelle la Winnie de Beckett, qui articule (splendide, irremplacée Madeleine Renaud : « Quel beau jour ça a été! ») Encore une vieille dame indigne.  Se garder un vice pour eux,  en prévision, donc. On ne dira jamais les vertus de la prévoyance. Se le garder comme la fourmi qui thésaurise.  Bon. Connaissez-vous  la suite ? « la grammaire est l’un des meilleurs ». Et dans le même texte, un peu plus loin : « Je serais d’avis que l’orthographe est toujours trop simple, il y aurait intérêt à compliquer ses règles. Les amoureux de billard, de cheval ou de régates trouvent toujours à compliquer le jeu. Je crois que Jean Paulhan était du même avis. Probablement aussi Perret. Quand on est amoureux de la langue, on l’aime dans ses difficultés. On l’aime telle quelle, comme une grand-mère. Avec ses rides et ses verrues. »

Le 3 mai 1971, Alexandre Vialatte est mort.

A l’époque, personne n’a dérangé la classe pour venir nous le dire au lycée. Il est mort à l’hôpital Necker, des suites d’une opération de l’aorte. Il avait 70 ans. Le 9 novembre de la même année (scolaire, je parle en année scolaire) le lundi 9 novembre 1970, donc, le proviseur était entré en classe, exactement comme dans Madame Bovary. Nous n’étions pas à l’étude mais, je m’en souviens très bien, en cours de mathématiques, quand il entra. Il nous annonça que le Général de Gaulle était mort, et qu’il y aurait un jour de deuil national. Je trouve qu’on nous fait vivre depuis quelque temps dans une sorte de nostalgie, une nostalgie très débile, très commerciale, très factice, de ces années soixante et soixante-dix parfaitement ridicule, dont je garde pour ma part un très mauvais souvenir. Ce que  les ados de l’époque pouvaient être idiots avec leurs boums dans les garages, leur salut les copains, leur idoles des jeunes ! A peu près autant que ceux d’aujourd’hui, ce qui n'est pas peu dire. Je soupçonne d’ailleurs les ados débiles des années soixante, devenus des presque retraités, d’entretenir cette nostalgie chez les ados d'à présent par une sorte de narcissisme complaisant et maladif, ainsi que par peur des vieux jours qui les rattrapent ; les vieux jours : nous y revoilà. Moi, si j’ai la nostalgie de ces années soixante-dix, ce n'est certes pas des années yéyés de tous ces jeunes cons devenus des vieux cons  (Johny Ah que je t’aime, sa greluche Sylvie et autres Dutronc, Mitchell, Mick Jagger et Sheila), mais c’est la nostalgie des vieux d’alors, de ces septuagénaires des années soixante qui avaient su mettre de côté un peu de grammaire pour leurs vieux jours. Ah ! Les vieux de ces années-là ! Pas un seul ne demeure pour tirer l'oreille de leurs coquins d'enfants. Ce sont ces vieux-là, pourtant, qui avaient été les vrais artisans du bonheur de vivre des sixties, dont on nous rebat les oreilles à présent. Bref, je ne saurais vous dire à quel point j’ai non pas la nostalgie du temps de la jeunesse de Johny et de Sylvie, mais celle du temps de la vieillesse de Charles de Gaulle et d'Alexandre Vialatte. Alors, pour finir ce billet qui n’a ni queue ni tête - mais à qui cela importe -t-il d'avoir une queue et une tête ?-, voici un extrait de la chronique de Vialatte du 15 novembre 1970, alors que toute la France ne parlait encore que de « ça » et qui, peut-être, éclairera mon propos ; un chef-d’œuvre d’humour, de légèreté, de reconnaissance également :

«L’humanité n’est composée que de survivants. C’est une vérité d’évidence, mais à laquelle on pense rarement parce que, vus sous un autre jour, ces survivants sont aussi des ancêtres (ou tout au moins de futurs ancêtres). L’humanité ne se compose que d’ancêtres. Et qui disparaissent à leur tour. Cette année, Marc Orlan, Mauriac, Giono, Jeanson (2) et j’en oublie »

Et c'est ainsi qu'Alexandre est grand.

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(2) Et dernière heure, le général de Gaulle qui était aussi un écrivain. 

 

 

 

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jeudi, 27 novembre 2008

Alexandre Vialatte et le bon roi Henri

Le 17 juillet de l'an 1956, Alexandre Vialatte notait dans sa chronique n° 82 de la Montagne quelques lignes dont il a le secret sur les éléphants : L'éléphant est le songe pompeux d'un dieu des Indes. Son oreille, dit l'Ecriture, est comme le manteau de Salomon.  Magnifique. Mais quel rapport, me dirait un pointilleux, avec le bon roi Henri ? Aucun, en apparence. Aucun.  

Sinon qu'après des tours et des détours, la plume du maître de la Gare de Lyon en vient, dans cette même chronique, à évoquer le susdit roi, à propos de la parution du nouveau Larousse:

« Les vrais grands hommes ne savent pas l'orthographe ! Imaginez-vous Henri IV, Louis XIV ou Bonaparte, ou même simplement Saint-Simon, ou Ravaillac, écrivant proprement ? discutant du pluriel des noms à trait d'union?  Que de temps perdu ! Ils allaient au plus court, au bout de la phrase, à la victoire, au crime urgent. » 

Deux fois, Vialatte évoque le roi Henri : Au début de la phrase, de façon explicite, et à la fin, de façon quasi-métonymique, à travers la notion de crime urgent qui fait penser à Ravaillac, dont personne aujourd'hui ne se souviendrait sans un certain coup de surin;  le crime urgent qui justifie qu'on n'ait pas le temps de finir sa phrase en faisant tous les accords, le crime-urgent, terme générique pour désigner la nécessaire primauté de l'action sur le langage châtié, ah, la redoutable concision de Vialatte !

Le 23 septembre 1958, soit deux ans plus tard, alors qu'il parle « d'entrer dans le signe de la Balance », le chroniqueur auvergnat cite à nouveau le monarque béarnais, cette fois-ci aux côtés du « chaste Louis XIII, de Boucher, Watteau et de son propre boulanger (suite logique du boucher ?) un brave parisien du nom de Courcoux ».

A peine une année plus tard, (14 avril 1959) il remet ça, embrigadant le vert galant dans une autre liste, à l'occasion d'un passage traitant des raretés, et dans lequel il est question de « la barbe de Fidel Casto, le crâne de Henri IV enfant, le Jardin de Brêche Grignotte, la Topographie au Salpêtre, les Sols et Terrains de Dubuffet. »

Le 20 avril 1960, Vialatte récidive en incluant cette fois-ci le premier Bourbon  parmi Jeanne d'Arc, Ravaillac, Landru, Pasteur et Brigitte Bardot, lors d'une énumération des représentants de la « France éternelle ». Le 27 août 1963, revoici Henri IV, cité comme personnage préféré des Français de l'époque, en compagnie du pape Jean XXIII, de Brigitte Bardot, saint Vincent de Paul, le bourreau de Béthune et Khrouchtchev.

A propos de la vitesse de la lumière, dans un beau délire dont il a le secret, Vialatte un peu plus tard rend subitement et fort scientifiquement le 27 avril 1965 contemporain de ... l'assassinat d'Henri IV par Ravaillac : y aurait-il chez Vialatte une fascination secrète et ambiguë pour l'un des plus célèbres trousseurs de jupons du pays ?

Voire une véritable obsession ?

Car ce n'est pas fini. C'est peut-être la chronique du 5 octobre 1965, intitulée Le vase de Soissons qui contient la formule la plus lumineuse :

« L'âme française, écrit Vialatte, a toujours été démocratique, même dans ses monarques : Henri IV préfigurait les présidents de la République. »

 Voilà qui est dit.

 

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Quelques précisions : En 1954, le projet d’un billet Louis XIV, remanié plusieurs fois, avait dû être écarté, les reproductions des peintures de Rigaud ne donnant pas satisfaction aux pontes les plus éminents de la Banque de France. Pour la vignette de 5000 francs, qui devint ensuite la première de 50 NF, on demanda à un prix de Rome, et pas n'importe lequel, le bien-nommé Le Feuvre, de songer à ce qu'il pourrait faire avec un autre roi que le trop absolu Roi-Soleil, indésirable en pays désormais démocratique : l'élu fut alors Henri IV.

Et ce dernier devint du même coup l'unique monarque à figurer sur un billet de la République.

Beau symbole : Ne  préfigurait-il pas ainsi les monarques républicains que celle-ci allait bientôt s'offrir sous les traits de De Gaulle ou Mitterand ? 

Le monarque républicain, le voici donc dans toute sa débonnaire splendeur. Et puisque Paris valait bien une messe, Le Feuvre le plaça devant le Pont-Neuf en construction qu'on aperçoit à l'horizon, derrière la royale fraise, avec ses boutiques et son moulin du Petit Chatelet. En ce dix-septième débutant, le ciel de Paris est encore d'un bleu limpide, le moteur à explosion n'ayant pas encore été breveté. Sûr que dans cette Seine, on plongeait à la renverse des arches du nouveau Pont, et on pêchait, tout vif, le poisson. 

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De l'autre côté du billet, Le Feuvre grava la silhouette draculéenne du Château de Pau, ainsi qu'une chaîne des Pyrénées qui, ne connaissant pas le Tour de France, n'avait entendu jusqu'alors d'autre son de cor que le son de celui de Roland, lequel n'avait nul besoin de dopage pour décimer du sarrasin. 

On cessa d'imprimer ce fort joli billet en 1961. Et, l'année suivante, Jean Racine prit le relai dans le grave et mélancolique cortège des figures du Franc.

Démonstration avait été faite de la souveraineté symbolique du billet sur tous les régimes politiques : Le billet, c'est le vrai roi, le vrai président, le pourvoyeur de poules au pot devant l'Eternel et pour les siècles des siècles ... Le billet de banque, c'est l'autorité qui prévaut sur toutes les tables de la loi, ne nous y trompons-pas, comme l'assura en son temps un certain Honoré qui célébrait de roman en roman la toute puissante pièce de cent sous.

Un fondateur de dynastie sur le sol de Marianne, donc, pour assurer la liaison entre le vieux et le nouveau franc républicain, jeter un pont entre un régime parlementaire en pleine déconfiture et un régime présidentiel en gestation :  J'ignore combien la Montagne rémunérait son chroniqueur attitré.

Tout laisse à penser cependant que grâce à sa plume empanachée, ce dernier en gagna un bon nombre au fil de ces semaines, de ces mois, de ces années-là. De quoi remplir de poules aux cuisses bien dodues et bien fermes le pot de maints dimanches que le Bon Dieu fit. Et c'est ainsi qu'Alexandre est grand.

 

Autres billets de la même série ( cliquez sur les noms pour suivre les liens):

Victor Hugo, Richelieu, Bonaparte et Molière.

 

 

07:29 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : alexandre vialatte, le bon roi henri iv, billets français | | |